Lettre ADAPE adressée aux institutions adhérentes, à l’attention des équipes, des familles et des jeunes (Mars 2020).

En vous adressant cette lettre que nous avons intitulée “Sécuriser nos enfants dans un climat d’insécurité et tenir bon sur nos valeurs humanistes”, les psychologues de l’ADAPE souhaitent partager avec vous quelques réflexions afin de vous accompagner au mieux durant cette période de pandémie COVID-19.

Dans le contexte d’insécurité générale, nos valeurs peuvent être mises à mal. Piégés par nos peurs, nous risquons de nous méfier les uns des autres, de nous renfermer sur nos communautés de semblables.

Après l’annonce du confinement, l’incrédulité, le déni comme les émotions en cascade ont pu apparaître : méfiance, incompréhension, tristesse, joie, repli sur soi, colère, agressivité, mais aussi besoin de contact, d’informationvoire d’engagement altruiste. 

« Aujourd’hui le coronavirus est arrivé chez nous, il existe dans la vraie vie. » Garçon, 8 ans

« J’ai ressenti de la peur mais surtout de la joie, on va être en vacances, et de la tristesse aussi, à cause des copines. » Fille, 12 ans

Nous sommes pour certains sous le choc d’une situation exceptionnelle qui pourrait faire écho à des situations psychotraumatiquescollectives (attentats terroristes, guerres…) et qui semble se cumuler à une crise politique, sociale, économique et environnementale.

Nous ne sommes pas préparés à ce type d’agression “invisible” qui nous laisse impuissants et nous confronte à la réalité de la mort. Il y a effraction dans nos espaces de vie commune, personnelle, intime.

En effet, chacun se trouve soudainement projeté dans un monde où les repères habituels sont chamboulés voire absents. Il s’agit alors de dépasser la peur et de sortir de la confusion.

Les images comme les informations données, souvent en boucle, font intrusion dans nos foyers. Elles alimentent nos peurs, nos fantasmes ce qui augmente la confusion. Le sensationnel et l’émotionnel envahissent alors notre perception et l’emportent sur le rationnel : l’écran fait écran à la pensée.

« Parce qu’ils matraquent de l’info brute, sans élaboration, les médias ne permettent pas de se décaler, de se dépendre de l’affect de peur. Au contraire, ils l’amplifient… Et parce qu’ils ne passent pas par la rencontre corporelle avec l’autre, les réseaux sociaux ne nous aident pas à nous réguler » Jean-François Gravouil (gestalt-thérapeute)

L’espace-temps, nos rythmes de vie sont bousculés en fonction des informations reçues, comprises, intégrées. Il est essentiel de sécuriser l’espace psychique.

DU CONFINEMENT À LA RÉPONSE ADAPTÉE, QUELLES PRÉVENTIONS, QUELLES PROPOSITIONS ?

Chaque individu a un besoin fondamental de se sentir libre. Le confinement vient l’empêcher, surtout dans notre société où liberté et mobilité sont valorisées. Qui plus est pour les adolescents où la privation de liberté est mal vécue : à un âge où les relations sociales en dehors de la famille sont au centre des attentions, où les restrictions sont souvent mal supportées. Il faut pouvoir être attentif aux réactions impulsives, à l’hyper-émotivité qui peuvent en découler ; et pouvoir faire preuve de souplesse, d’écoute, s’accorder des moments pour se retrouver un peu seul, enfant comme adulte.

À tout âge, tenir compte du vécu du jeune, de ses dires, se détacher des faits en “coupant l’image et le son” est important. Il s’agit de sensibiliser nos enfants aux outils médiatiques, à l’information donnée et aussi de leur dire la vérité. Cela les aide, à se responsabiliser. Ainsi, en développant leur esprit critique, ils peuvent se ré-approprier les informations et intégrer les émotions associées, y mettre du sens. 

Le confinement peut s’apparenter à un deuil même pour les jeunes : il faut renoncer à certaines choses de sa vie d’avant, faire l’expérience de la perte. On passe par plusieurs étapes : choc, refus, acceptation. Il faut mobiliser des ressources inattendues pour surmonter cette phase et éviter la déprime. Être dans des réalisations concrètes, fabriquer, écrire ce que l’on fait, tenir un journal, faire des projets pour la suite, permet de se maintenir dans une dynamique constructive.

Ré-instaurer un cadre éducatif enveloppant, prévisible, apaisé et sécurisé. Par exemple, en lien avec ce que propose l’Ecole, établir un planning pour organiser le quotidien avec des temps de travail et de liberté individuelle ou en famille. Autant de repères pour s’approprier cette nouvelle situation. Tentons de mettre de l’ordinaire dans l’extraordinaire. 

Nous savons à quel point les réseaux sociaux font partie intégrante de nos vies. Pour nos jeunes, il convient de ne pas s’y enfermer comme la tentation du confinement pourrait les y inciter. Pratiquer un bon usage des réseaux sociaux dans l’utilisation de groupes de tchat « limités » et amicaux, entretient du lien social authentique. C’est dans ces moments de crise que l’empathie et la bienveillance doivent être privilégiées.

Favoriser l’écoute sans jugement et interdit ; libérer la parole, tout en respectant ses silences. Être attentifs à la communication non verbale (regard, agitation, repli, silence…) qui en dit tout autant que les mots.

Alors que le contact physique est proscrit, au sein de nos foyers le besoin “vital” de rapprochement peut se faire sentir. En effet ces signes d’affection, instinctifs et humains, font partie des réponses possibles à l’incidence régressive du confinement.

Développer l’interaction par le biais du sport, du jeu, du dessin, de la musique, de la lecture, de la cuisine etc… La créativité artistique permet de mettre du sens là où il n’y en a pas.

Rester chez soi ne veut pas dire s’enfermer, passifs, « phobiques » devant nos écrans comme « perfusés » aux réseaux sociaux. Prendre soin de soi intègre le plan physique mais aussi le plan psychologique. C’est écouter nos besoins et devoirs : ceux de faire, mais aussi de ne pas faire. C’est créer du lien et rester fidèle à ses idéaux, c’est toucher à l’essentiel.

Nous souhaitons donc à tous de faire de ces semaines à venir une expérience de vie unique, avec ses aléas émotionnels humains et légitimes.

Nous restons à votre écoute.